L'impossible monsieur bébé *****

Howard Hawks s’est frotté à presque tous les genres, et leur a légué à chaque fois un grand film. Parmi les chef d’œuvres, L’impossible monsieur Bébé demeure certainement la comédie de Hawks la plus marquante et la plus aboutie.

Lorsqu’il rejoint la société de production RKO, en 1936, Hawks vit une légère crise d’inspiration et mettra quelque mois à reprendre le chemin des plateaux. Comme souvent, c'est en lisant une brève nouvelle qu’il aura l’idée de se lancer dans L’impossible monsieur bébé. Le fait divers racontait l’anecdotique histoire d’une panthère évadée, se baladant dans le Connecticut. Il engage pour la rédaction du scénario Hagar Wild et Dudley Nichols (ce dernier avait déjà travaillé pour John Ford, notamment). Ces deux là vivront une torride idylle durant le travail d’écriture et les multiples sous-entendus érotiques du film pourraient fortement avoir un lien avec cette effervescence qui a animé ses scénaristes. Hawks a longtemps hésité sur le choix des acteurs, mais finira par opter pour Cary Grant, riche d’une déjà vaste carrière, et Katharine Hepburn, actrice immense du cinéma américain.Lorsque le cinéma parlant fait son apparition, l’univers de la comédie se voit profondément bousculé. Le burlesque, le clownesque qui a pu animer les films de Buster Keaton et Charlie Chaplin, s’est vu remplacer par une narration plus réaliste, soucieuse de soulever des problématiques sociales. En réaction à cette évolution, une poignée de cinéaste, dont Howard Hawks, vont se lancer dans un sous-genre de la comédie que l’on a appelé la « screwball comedy ». Screwball est un terme émanant initialement du base-ball mais qui est aussi gorgé de sous entendus adultérins et/ou sexuels. L’impossible monsieur bébé demeure à ce jour l’une des screwball comédy les plus emblématiques, en mettant en scène une forme d’excentricité complètement délurée, parfois presque folle, sous couvert d’une permanente tension sensuelle homme-femme.

Cette irrésistible comédie n’a pas pris une seule ride et se trouve être tout aussi hilarante plus de 70ans après sa première parution. Katharine Hepburn (Susan Vance) campe avec une tendresse mâtinée de folie une femme énigmatique, héritière s’étant entichée d’un chercheur paléontologue, David Huxley (Cary Grant) lui-même à la recherche d’un don important pour sa fondation, de la part d’une millionnaire qui s’avère être la tante de Susan. Monsieur Bébé, panthère domestiquée sera l’appât dont usera Susan pour attirer dans ses filets le crédule David. Le film débute sur les chapeaux de roue et maintient un rythme effréné de bout en bout. Les duels de répliques laissent place à des courses poursuites et autres chasses au léopard en décor urbain. Le scénario rivalise d’inventivité pour offrir aux deux acteurs principaux, ainsi qu’aux truculents rôles secondaires, une foule de scènes cocasses toutes aussi drôles les unes que les autres.

Mais comme la comédie ne saurait se cantonner qu’à la drolerie, Hawks glisse dans son film certaines des thématiques centrales de son œuvre en offrant à Hepburn un rôle à la parfaite mesure de son talent. Les femmes et leur rapport aux hommes ont toujours une grande importance dans le cinéma de Howard Hawks qui n’hésite pas à placer les hommes dans des situations de quasi dépendance à l’égard de la gente féminine. L’un des aspects central de L’impossible monsieur Bébé réside dans cette croissante montée du désir et de la tension entre Susan et David, qui ne semble pas, quant à lui, se rendre compte qu’il succombe lentement. Rappelons que dans les années 1930, Hollywood, las de voir s’accumuler sur les écrans immoralité et indécence imposa un code de censure drastique : le code Hays. Chaque film sortant sur les écrans devant passer au travers des fourches caudines des censeurs qui pouvaient à loisir amender un film ou carrément empêcher sa sortie. Avec le recul, il est succulent de voir tout ce que la censure a pu laisser passer dans ce film qui regorge de situation à double lecture, de quiproquos érotiques et même de scène très explicites (Cary Grant se collant aux fesses quasi dénudées de Katharine Hepburn pour cacher son postérieur). L’impossible monsieur Bébé est en définitive un pur chef d’œuvre de comédie ou la virtuosité scénaristique rivalise avec l’audace de la mise en scène, au service de deux acteurs en état de grâce. Immanquable et inoubliable !

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